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Dix questions sur l’assouplissement quantitatif




La plupart des observateurs considèrent que les politiques monétaires non conventionnelles telles que l’assouplissement quantitatif (quantitative easing, ou QE, en anglais) sont nécessaires pour relancer la croissance dans les économies qui sont aujourd’hui anémiques. Toutefois, de plus en plus de questions ont également commencé à se faire entendre à propos de l’efficacité et des risques du QE. En particulier, dix coûts potentiels associés à ces politiques méritent l’attention.

Premièrement, bien qu’une réponse purement « autrichienne » (c’est à dire, l’austérité) en vue de faire éclater les bulles d’actifs et du crédit puisse conduire à une dépression, les politiques de QE qui retardent trop longtemps le processus nécessaire du désendettement des secteurs privé et public peuvent créer une armée de zombies : des institutions financières zombies, des ménages et des entreprises zombies et, finalement, des gouvernements zombies. Dès lors, quelque part entre les deux extrêmes autrichien et keynésien, les mesures de QE doivent être progressivement éliminées au fil du temps.

Deuxièmement, un QE à répétition peut devenir inefficace avec le temps, lorsque les canaux de transmission vers l’activité économique réelle commencent à se boucher. Le canal des obligations ne fonctionne pas lorsque les rendements obligataires sont déjà bas ; le canal du crédit ne fonctionne pas lorsque les banques stockent de la liquidité et la vélocité pique du nez. En effet, ceux qui peuvent emprunter (les entreprises et ménages disposant d’un rating de premier ordre) ne veulent pas ou n’ont pas besoin de crédit, tandis que ceux qui en ont besoin – les entreprises fortement endettées et les ménages avec un moins bon historique de crédit – n’y ont pas accès en raison de la crise du crédit.

En outre, le canal boursier menant à la revalorisation des actifs à la suite du QE ne fonctionne qu’à court terme si la croissance ne parvient pas à repartir. Et, lorsque des politiques de QE sans fin programmée sont mises en œuvre, la baisse des taux d’intérêt réels via la hausse de l’inflation attendue risque d’alimenter les anticipations d’inflation à terme.

Troisièmement, le canal du taux de change de transmission du QE – l’affaiblissement de la monnaie provoqué par l’assouplissement monétaire – est inefficace si plusieurs grandes banques centrales mettent en place des mesures de QE en même temps. Lorsque cela se produit, le QE est un jeu à somme nulle, parce que les monnaies ne peuvent pas toutes tomber à la fois, et les balances commerciales ne peuvent pas toutes s’améliorer en même temps. Le résultat devient donc une série de « guerres de QE » en substitut à des « guerre monétaires ».

Quatrièmement, le QE dans les économies avancées entraîne des flux de capitaux excessifs vers les marchés émergents, qui doivent faire face à un défi politique difficile. Une intervention stérilisée sur le marché des changes maintient les taux d’intérêt domestiques à des niveaux élevés et alimente les entrées de capitaux. Mais une intervention non stérilisée et / ou une réduction des taux d’intérêt domestiques crée un excès de liquidités qui peuvent alimenter l’inflation domestique et / ou des bulles des actifs et du crédit.

En même temps, ne pas intervenir et laisser la monnaie s’apprécier érode la compétitivité extérieure, ce qui conduit à la création de dangereux déficits extérieurs. Néanmoins, imposer des contrôles sur les entrées de capitaux est difficile et ne garantit pas toujours une étanchéité. Les contrôles macroprudentiels par rapport à  la croissance du crédit sont utiles, mais parfois inefficaces pour stopper les bulles d’actifs lorsque de faibles taux d’intérêt continuent à soutenir des conditions de liquidité généreuses.

Cinquièmement, un assouplissement quantitatif persistant peut conduire à des bulles d’actifs, aussi bien là où il est mis en œuvre que dans les autres pays où il a une influence. De telles bulles peuvent se produire sur les marchés boursiers, les marchés du logement (Hong Kong, Singapour), les marchés des matières premières, les marchés obligataires (on parle de plus en plus de la possible formation d’une bulle aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni et au Japon) et les marchés du crédit (où les spreads dans certains marchés émergents, ainsi que sur la dette d’entreprises à haut rendement et de haute qualité, sont en train de se réduire de manière excessive).

Bien qu’une politique de QE puisse se justifier par la faiblesse des fondamentaux économiques et de croissance, maintenir les taux trop bas pendant trop longtemps peut en fin de compte alimenter ce genre de bulles. C’est ce qui s’est passé en 2000-2006, quand la Réserve fédérale américaine a fait chuter de manière agressive le taux des fonds fédéraux à 1% au cours de la récession de 2001 et de la période de faible reprise par la suite. En maintenant ces niveaux bas, elle avait alimenté les bulles des crédit / logement / subprimes.

Sixièmement, le QE peut créer des problèmes d’aléa moral en affaiblissant les incitants des gouvernements à poursuivre les réformes économiques nécessaires. Il peut également retarder la rigueur budgétaire qui est nécessaire si de larges déficits sont monétisés, et, en maintenant les taux trop bas, empêcher le marché d’imposer la discipline.

Septièmement, la sortie du QE est délicate. Si la sortie se produit trop lentement et trop tard, la conséquence peut se traduire par de l’inflation et / ou des bulles des actifs / du crédit. En outre, si la sortie se fait par la vente des actifs à long terme achetés au cours du QE, une forte hausse des taux d’intérêt pourrait étouffer le redressement, entraînant des pertes financières importantes pour les titulaires d’obligations à long terme. Et, si la sortie se fait par une hausse du taux d’intérêt sur les réserves excédentaires (pour stériliser l’effet de l’excédent de base monétaire sur la croissance du crédit), les pertes pour les bilans des banques centrales pourraient être significatives.

Huitièmement, une période prolongée de taux d’intérêt réels négatifs implique une redistribution du revenu et de la richesse des créanciers et épargnants vers les débiteurs et emprunteurs. De toutes les formes d’ajustement qui peuvent conduire au désendettement (la croissance, l’épargne, la restructuration ordonnée de la dette ou l’imposition de la richesse), la monétisation de la dette (et en fin de compte une augmentation de l’inflation) est la moins démocratique et elle porte gravement atteinte aux épargnants et créanciers, y compris les retraités et les fonds de pension.

Neuvièmement, le QE et d’autres politiques monétaires non conventionnelles peuvent avoir de graves conséquences inattendues. Au final, il pourrait y avoir une augmentation excessive de l’inflation ou un ralentissement, au lieu d’une accélération, de la croissance du crédit, si les banques – confrontées à de très faibles marges nettes de taux d’intérêt – estiment que le risque est trop important par rapport au bénéfice attendu.

Enfin, il y a un risque de perdre de vue tout retour vers des politiques monétaires conventionnelles. En effet, certains pays sont en train d’abandonner leur régime de ciblage de l’inflation et d’entrer en territoire inconnu, où il n’existe aucun point d’ancrage pour les anticipations de prix. Les États-Unis sont passés de QE1 à QE2 et aujourd’hui QE3, qui est potentiellement illimité et lié à une cible de chômage. Les fonctionnaires sont maintenant en train de discuter activement l’opportunité de taux directeurs négatifs. Et les décideurs ont opté pour une politique risquée d’assouplissement du crédit alors que l’efficacité du QE s’est affaiblie.

En bref, au contraire d’un retour à des politiques conventionnelles, les politiques sont en train de devenir de moins en moins conventionnelles, avec peu de clarté quant aux effets à court terme, les conséquences imprévues et les impacts à long terme. Il est clair que le QE et d’autres politiques monétaires non conventionnelles présentent d’importants avantages à court terme. Mais si de telles politiques restent en place trop longtemps, leurs effets secondaires pourraient être graves – et les coûts à long terme très élevés.

Nouriel Roubini, Professeur à Stern School, NYU

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

© Project Syndicate

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