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La Chine délaisse les bons du trésor US

La Chine délaisse les bons du trésor US




 

Tandis que le dollar vacille, la Chine se dégage des bons du trésor américain et achète à l’étranger des actifs sonnants et trébuchants.

Cette année, et pour la première fois, la Chine a investi plus d’argent à l’étranger en actifs comme le fer, le pétrole et le cuivre qu’elle n’en investit en bons du trésor américain.

Au cours du premier semestre 2010, la Chine a dépensé 31 milliards de dollars en actifs tangibles, et 23 milliards de dollars en bons du trésor et autres obligations de l’état américain. Les experts disent que la Chine investira en pour toute l’année 2010 environ 55 milliards de dollars dans chacune de ces classes d’actifs. Et cela marque une vraie rupture dans les habitudes chinoises. Pendant de nombreuses années, la Chine n’a quasiment rien investi en actifs tangibles (matières premières, actions, terrains, etc.), tandis que leurs achats de bons du trésor atteignait jusqu’à 100 milliards de dollars par an.

Pourquoi la Chine a-t-elle un si vorace appétit pour ces actifs tangibles ?

La raison la plus fréquemment citée est le besoin du pays en matières premières pour alimenter son industrie en plein essor. C’est vrai, certes, mais cet arbitrage est aussi et surtout un aspect de sa stratégie de changes.

Tout le monde s’accorde à dire que la devise chinoise, le yuan, est sous-évaluée par rapport au dollar, de 40% disent certains. Si le passé se répète, il semble que les dirigeants chinois soient prêts à laisser s’apprécier le yuan, lié au dollar par une parité fixe, de 2 à 3% par an.

Face à un dollar aussi faible, il n’est pas une bonne idée d’investir dans des bons du trésor US ou tout autre actif libellé en dollar. Les intérêts annuels perçus peuvent facilement être annihilés par la dépréciation du dollar, et Pékin s’inquiète aussi de la solvabilité des Etats-Unis. Le pari intelligent est donc d’investir dans des actifs susceptibles de conserver leur valeur, voire de s’apprécier, en dépit de la chute du dollar.

Le fer de Sierra Leone, les mines sud-africaines, le charbon et le gaz en Australie, le pétrole au Brésil. Même l’industrie forestière canadienne redémarre grâce à la demande venue de Chine. La semaine dernière, la Chine a revu à la hausse ses besoins en uranium pour alimenter ses centrales nucléaires.

La récente décision de la Fed d’acheter pour 600 milliards de dollars de bons du trésor US, dans le cadre de sa politique d’assouplissement quantitatif, appelé “QE2”, ne fera qu’accélérer la course de la Chine vers les actifs sonnants et trébuchants. Parce que le QE2 n’est rien d’autre que de la création d’argent nouveau (la proverbiale planche à billets), le QE2 rendra le dollar encore moins attrayant.

Cette préférence chinoise pour les actifs “durs” pourrait à terme être un facteur de hausse des taux d’intérêts aux Etats-Unis, ce qui rendra le reprise économique plus difficile. Ces derniers temps cependant, cet “effet Chine” a été largement compensé par les achats de bons du trésor par la Fed.

De son côté, la Chine doit trouver l’équilibre entre la sagesse d’investissement et l’assurance que l’économie américaine reste suffisamment dynamique pour être capable d’absorber les exportations chinoises. Cette considération perdra de son importance à mesure que la Chine développe son marché intérieur et devient moins dépendant de ses exportations.

La Chine a accumulé les actifs tangibles au fil des années

Les plus gros deals cette année : CNOOC, le plus gros pétrolier offshore de Chine et une de ses entreprises les plus puissantes, a dépensé 2,2 milliards de dollars pour du schiste bitumeux aux Etats-Unis appartenant à Chesapeake Energy, et 3,1 milliards de dollars pour racheter 50% d’une unité de production de l’Argentin Bridas Energy. Le Chinois State Grid Corp. a investi près de 1 milliard de dollars en cuivre du Chili. Sinopec a payé 4,6 milliards de dollars pour s’offrir 9% de ConocoPhilips, et encore 7,1 milliards de dollars pour 40% de l’unité brésilienne de Repsol.

Et quand la Chine ne peut pas racheter l’entreprise, elle achète la matière première sous-jacente

Le Chinois Sinofert, après avoir abandonné son offre pour le rachat de Postash Corp. pour contrer celle de BHP Billiton, a annoncé dernièrement qu’il achèterait pour 2,2 milliards de dollars d’engrais à Canpotex.

Les investissements chinois de cette nature se développent rapidement. En juin, alors même que la Chine se défait de 15,6 milliards de dollars d’obligations américaines en tous genres, elle achète pour 1,1 milliards de dollars de minerais du Canada et de charbon du Mozambique. Et il fort à parier que ce genre de deals vont se multiplier à l’avenir.

Laurent Curau