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Arkéa – Crédit Mutuel : retour sur un conflit qui n’en finit plus

Arkéa – Crédit Mutuel : retour sur un conflit qui n’en finit plus




Dans ce dossier consacré au conflit inédit qui agite le monde bancaire français, retour sur les origines du désaccord opposant Arkéa au Crédit Mutuel, le parcours et les motivations des hommes qui en sont à l’origine, Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal, leurs méthodes — parfois décriées — et, enfin, où en sommes nous aujourd’hui.

Partie 1 : retour sur les origines du conflit

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Tout commence en 2014. Jean-Pierre Denis, passé par les bancs d’HEC et de l’ENA, puis par l’Inspection des finances, avant de suivre Jacques Chirac à l’Élysée où il occupe le poste de secrétaire général adjoint de la présidence, et de rejoindre le secteur privé (notamment aux côtés de Jean-Marie Messier) est aux manettes d’Arkéa depuis 2008. À l’Élysée, il a laissé l’image « d’un homme étonnant, à la fois sympathique (…) et capable de mauvais coups, (…) qui ne cessait de monter les gens les uns contre les autres », affirme un ancien conseiller. « J’ai vocation à prendre la présidence (d’Arkéa) et à jouer un rôle à la Confédération (nationale) du Crédit Mutuel » (CNCM), affirmait dès 2007 Jean-Pierre Denis, alors vice-président de la banque bretonne.

Ainsi, quelque temps après son arrivée à la tête d’Arkéa — un établissement plutôt modeste par sa taille et son portefeuille clients —, Jean-Pierre Denis voit déjà plus loin, ambitionnant de prendre un jour les rênes d’une des plus grandes banques tricolores, le Crédit Mutuel. C’est d’ailleurs ce que lui aurait fait un temps espérer l’ancien dirigeant de la CNCM, Michel Lucas. En 2014, le poste lui échappe. Jean-Pierre Denis rejoint alors la Bretagne, où il développe, non sans succès et avec le soutien de son numéro 2, Ronan Le Moal, l’activité d’Arkéa, en misant notamment sur l’essor des Fintech. Ce coup d’arrêt marquera néanmoins le début du conflit et la volonté du duo de quitter le giron de la CNCM qu’il accuse de centralisme excessif.

Du côté du Crédit Mutuel, on temporise. L’actuel président de la Confédération, Nicolas Théry, affirme que lorsqu’il a pris la tête de la CNCM, en 2016, il a « tendu la main à Jean-Pierre Denis pour mettre un terme aux vieilles querelles du passé, (ne voyant pas) ce qui pourrait brimer Arkéa dans le fonctionnement de la Confédération ». Fin de non-recevoir catégorique du côté de Brest où siège la banque. C’est d’ailleurs sur cet argument régionaliste, en mettant en avant la sauvegarde de l’emploi en Bretagne, prétendument menacé par la CNCM, que vont s’appuyer Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal pour justifier leur volonté d’indépendance.

Rapidement, Jean-Pierre Denis se fait surnommer le « bonnet rouge » de la finance. La comparaison avec le mouvement populaire ayant enflammé la Bretagne — et ses fameux portiques liés à la taxe carbone — est alors jugée déplacée par certains, dont Laurent Mauduit, co-fondateur de Mediapart, qui estime que le train de vie des deux dirigeants de la banque n’a que peu à voir avec les classes populaires dont ils affirment défendre les intérêts en Bretagne. Ce dernier s’appuie sur les salaires conséquents, dignes de dirigeants d’entreprises du CAC 40, que s’octroient Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal.

En 2016, 2017 et 2018, la rémunération du président d’Arkéa — un établissement bancaire modeste en comparaison des géants français que sont BNP Paribas, la Société Générale ou le Crédit Agricole — a ainsi atteint près de 1,6 million d’euro, soit davantage que celle de dirigeants comme Stéphane Richard chez Orange ou Gilles Schnepp chez Legrand. De son côté, Ronan Le Moal a reçu sur les mêmes exercices un peu moins de 1,3 million d’euros. Mediapart rappelle également que Jean-Pierre Denis perçoit, chaque année, des jetons de présence, ce dernier faisant partie des conseils d’administration de nombreuses entreprises, comme Kering ou encore Nexity.

Dès lors, d’aucuns — parmi lesquels Laurent Mauduit — estiment que les velléités d’indépendance des dirigeants d’Arkéa doivent plus à leur volonté d’enrichissement personnel qu’à une réelle ambition stratégique pour leur groupe. Ces derniers arguant également que l’ancien énarque gravite dans un microcosme très parisien composé de personnalités comme Anne Méaux, à la tête de l’agence de communication Image 7, ou encore François Fillon, qu’il aurait contribué à faire entrer au sein du fonds d’investissement Tikehau Capital — dont Jean-Pierre Denis est administrateur.

Une position qui soulève d’ailleurs des inquiétudes chez les partisans de l’union entre Arkéa et le Crédit Mutuel. Selon ces derniers, Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal nourriraient le projet d’abandonner le modèle mutualiste au profit d’un modèle capitalistique, et viseraient, à terme, une introduction en bourse, alors facilitée par le fonds d’investissement.

Partie 2 : des méthodes décriées

Afin de mettre en avant le bien-fondé de leur projet d’indépendance et faire valoir leurs arguments, les dirigeants d’Arkéa ont eu recours à différents outils et moyens de communication : interviews, campagnes de publicité, comités de soutien, réseaux sociaux, pétitions en ligne, etc. Des outils qui, s’ils sont fréquemment utilisés par les entreprises, ont néanmoins été pointés du doigt par certains, dénonçant une volonté de « manipulation » de la part de Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal.

La banque a par exemple diffusé une vidéo pédagogique de quelques minutes, destinée à présenter les raisons pour lesquelles l’obtention de son indépendance revêt un caractère vital. Dans cette vidéo diffusée en mai 2018 par le collectif « Avis de tempête », favorable au projet de désaffiliation, et intitulée « Comprendre le conflit Arkéa/CM11-CIC en 3 minutes », Mediapart a relevé plusieurs « approximations » et « contre-vérités » destinées selon le pur player à « convaincre les internautes du bien-fondé de la démarche d’Arkéa ». D’après Mediapart, la voix off suggère ainsi qu’au cours des années 1960, le CM11, qui regroupe onze fédérations du Crédit Mutuel, et Arkéa, qui chapeaute celles de Bretagne, du Sud-Ouest et du Massif Central, sont devenus des « groupes distincts ». Ce qui est faux, le Crédit Mutuel étant aux yeux des autorités un « groupe unique » rappelle Mediapart.

La vidéo explique ensuite que le CIC, avec lequel le CM11 a fusionné en 1998, concurrence les agences d’Arkéa sur ses terres — alors que le CIC ne possède que de 1 à 4 % des parts de marché dans ses trois fédérations régionales. Le film poursuit en expliquant qu’en raison des bons résultats d’Arkéa, la banque bretonne « attire les convoitises » d’autres établissements, suggérant que le Crédit Mutuel souhaite absorber « gratuitement » Arkéa : « un vrai putsch juridique » qui n’a pourtant aucune raison d’être, Arkéa faisant déjà partie du Crédit Mutuel depuis 1958. Enfin, la vidéo explique que ce sont les sociétaires, c’est-à-dire les véritables propriétaires d’Arkéa, qui se prononceront sur le projet de désaffiliation ; encore une fois, il s’agit d’une affirmation tendancieuse selon Mediapart, la direction d’Arkéa ayant pris soin de ne rien révéler à ses sociétaires de ses projets, poursuit le journal.

Aux yeux de certains, l’objectif de cette vidéo — et des autres actions entreprises par les partisans de l’indépendance — est donc simple : faire passer Arkéa pour une victime du Crédit Mutuel. Autre action de communication lancée par Arkéa qui a fait l’objet de vives critiques : la « première manifestation de banquiers », organisée en mai 2018 à Paris. D’après le quotidien Le Monde, si « un collectif de salariés de la banque, baptisé “Indépendance pour Arkéa” et rassemblant de nombreux cadres dirigeants, revendique la paternité de cette initiative, c’est bien la direction d’Arkéa qui orchestre l’événement et mobilise les troupes ». Et le quotidien d’ajouter : « manifester est fortement recommandé », en référence aux menaces qu’aurait proférées la direction envers les salariés récalcitrants.

En effet, comme le révèle un article du Parisien, les manifestants n’étaient pas tous « volontaires » : « rien n’est dit, rien n’est écrit, mais tout le monde l’a compris : si tu ne viens pas, tu es mal vu et tu n’as plus de carrière », confie ainsi un salarié. « Si vous décidiez de ne pas venir et que votre service n’était pas ouvert, vous deviez aller dans un autre service ou poser une journée de congé ! Donc, on avait surtout le choix de venir », renchérit un autre. « Je manifeste pour la première fois de ma vie et franchement, cela me coûte que cela soit pour cette cause-là », glisse encore un dernier.

Les critiques des employés et syndicats d’Arkéa ciblent également le « collectif de salariés » favorable à l’indépendance, qu’ils accusent d’être « dirigé par la direction » de la banque : « une nouvelle fois, alors que les instances sont consultées sur le projet d’indépendance du groupe, le collectif anonyme des salariés a sévi. (…) Vous êtes beaucoup à nous avouer une grande lassitude devant ses méthodes. Utilisant, une nouvelle fois, à des fins uniquement partisanes les moyens de l’entreprise, le collectif anonyme diffuse de fausses informations », affirme l’intersyndicale d’Arkéa.

Enfin, quand l’ancienne ministre socialiste Marylise Lebranchu propose aux Bretons d’assister à des réunions publiques organisées par son collectif « Restons mutualistes », celles-ci seraient noyautées par des pro-indépendance spécialement mandatés par la direction d’Arkéa, dont Mediapart a révélé qu’ils étaient incités par leur direction à venir « armés » à ces réunions.

Partie 3 : un projet qui bat de l’aile

Un conflit bancaire qui s’embourbe, la volonté inflexible de deux hommes, des méthodes décriées : au terme de plusieurs mois, voire années, de tensions, où en est vraiment le projet d’indépendance d’Arkéa porté par ses dirigeants ? Au point mort, si l’on en croit les divers avertissements émis par la quasi-totalité des autorités de contrôle du secteur : Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), Autorité des marchés financiers (AMF), Banque centrale européenne (BCE), etc. Cette dernière a même mis en garde Arkéa contre les « nombreuses zones d’incertitudes juridiques, institutionnelles, prudentielles et opérationnelles » soulevées par le projet de Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal.

Les autorités de tutelle bancaires ne sont pas les seules à faire ouvertement part de leurs inquiétudes. Les syndicats d’Arkéa sont également vivement opposés au projet d’indépendance, comme ils l’ont rappelé, à une large majorité (treize voix sur quinze) lors d’un vote organisé le 18 octobre dernier par le Comité central d’entreprise (CCE). Un avis purement consultatif, selon lequel le plan de la direction de la banque « demeure dans un flou juridique » et ne tient pas compte « de paramètres essentiels comme le coût de refinancement, la possible dégradation de la notation bancaire, les incertitudes concernant les besoins en fonds propres ou encore la concurrence de nouvelles agences Crédit Mutuel ».

Même son de cloche chez nombre des quelque 10 000 salariés d’Arkéa qui, tout en doutant de la validité du projet d’indépendance, préfèrent opter pour l’anonymat lorsqu’ils confient leurs appréhensions – « par peur des représailles », « pour ne pas s’exposer » ou encore « parce qu’on en prend tous les jours plein la figure ». Beaucoup d’entre eux reviennent ainsi sur la fameuse « première manifestation de banquiers » organisée à Paris par la direction d’Arkéa pour soutenir son projet, dénonçant une « illusion », les « pressions » et le « conditionnement » interne des esprits.

Les sociétaires d’Arkéa — et donc, les véritables propriétaires de la banque — ne sont pas en reste. Dans une tribune parue sur Mediapart en avril 2018 et intitulée « Nous voulons rester sociétaires de notre Crédit Mutuel », une douzaine d’entre eux s’oppose ainsi « fermement (…) au projet funeste développé par les dirigeants actuels d’Arkéa qui vise à organiser l’indépendance de ce groupe aux dépens du Crédit Mutuel ». « Il est encore temps d’éviter ce désastre », poursuivent les co-signataires, estimant que « l’autonomie d’Arkéa et sa liberté d’action ne sont absolument pas menacées, (et) ses emplois non plus ».

Enfin, si un premier vote des caisses locales d’Arkéa a bien eu lieu en faveur de l’indépendance, la direction de la banque annonce depuis plusieurs mois une seconde consultation, cette fois, définitive et « éclairée ». Une échéance sans cesse repoussée depuis, et à laquelle ne participera sans doute pas la caisse locale du Massif Central, l’une des trois d’Arkéa avec celle de Bretagne et du Sud-Ouest, qui, à l’automne dernier, a voté son rattachement prochain à l’Alliance Fédéral (ex CM11-CIC), la plus puissante fédération du Crédit Mutuel. « Les sociétaires du Crédit Mutuel Massif Central (CMMC) ont (ainsi) choisi de rester (au) Crédit Mutuel en approuvant à une très large majorité (85 % des suffrages exprimés) les modifications statutaires permettant leur rattachement » à la Caisse Fédérale du Crédit Mutuel, explique un communiqué de la caisse locale.

Critiqués de toutes parts, les dirigeants d’Arkéa n’en maintiennent pas moins leur projet. Mais, tout en réaffirmant son bien-fondé, ils ont été contraints de reconnaître, en août 2018, dans leur dernier « document de référence actualisé » que l’AMF leur a sommé de lui transmettre, les risques liés à ce même projet. La « désaffiliation (…) a des conséquences qui peuvent être difficiles à appréhender », estiment-ils dans le document, ne pouvant « garantir que le projet sera conduit à son terme » et reconnaissant la possibilité d’éventuelles « modifications majeures » et de « difficultés nouvelles », parmi lesquelles « la perte du bénéfice de l’agrément bancaire collectif » pour les caisses locales, ou encore les risques liés « aux calculs prudentiels » et « à l’accord des autorités de contrôle ».

Depuis, aucune avancée n’a été enregistrée et chacune des parties reste campée sur ses positions, à la différence que la direction d’Arkéa est plus seule que jamais.

Source image : Freepik

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