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La crise et le rêve faustien des financiers

La crise et le rêve faustien des financiers




Jeudi 18 septembre 2008, à la clôture de la bourse à New-York, les intervenants applaudissent debout… à la nationalisation d’AIG. Et ce n’est pas un film de propagande soviétique datant des années 80 ! Elle avait été précédée et a été suivi par d’autres nationalisations, temporaires certes, comme en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, par d’imposantes garanties accordées aux banques pour leur éviter la faillite et par l’octroi de soutiens divers de plus en plus nombreux, ce qui montre la gravité de la crise qui s’étend maintenant au monde entier et à l’économie réelle.

La crise et le rêve faustien des financiers

Il est facile de trouver les responsables, du citoyen américain qui a acheté une maison sans avoir l’argent pour la payer aux Banques Centrales qui ont inondé la planète de liquidités pour sortir de la crise précédente, en passant par des intermédiaires irresponsables et à tous les autres intervenants dans cet immense marché de produits « structurés » tournant autour de la titrisation qui jouaient sans vergogne sur l’effet de levier de la dette pour obtenir des rentabilités sur fonds propres considérables. Mais le plus important maintenant est de trouver des solutions pour tenter de guérir les marchés et l’économie et d’éviter la reproduction de ce genre de crises. On parle de régulations et de retour des Etats mais, malgré le G20, dans une grande confusion, à cause de l’absence d’une vision globale qui permettrait des actions cohérentes. Or celle-ci est possible, si l’on admet que la crise est l’aboutissement logique d’une dégénérescence du capitalisme financier par rapport aux principes mêmes des marchés efficients. En effet les pères de la théorie moderne des marchés financiers ont précisé dés les années 50 et 60 les règles nécessaires à leur fonctionnement satisfaisant.

Elles sont simples:

  • Il faut que l’information économique et financière soit d’abord immédiate pour que les investisseurs puissent réagir immédiatement à toute nouvelle information.
  • Elle doit ensuite être gratuite pour éviter que les plus fortunés ne soient avantagés par rapport aux autres et ne bénéficient d’une dissymétrie de l’information.
  • Elle doit enfin être complète, afin de reposer sur des données incontestables.

Le respect de ces règles garantit en principe que la rentabilité boursière des entreprises soit dans le long terme proportionnelle au risque pris, ce qui est à la fois un signe de l’efficacité de l’allocation des capitaux et de justice.

Or, on constate une violation de plus en plus fréquente de ces règles. On ne peut prétendre que les informations importantes soient toujours diffusées immédiatement quand on ne sait pas encore, deux ans après le début de la crise le nombre, le montant et la localisation de toutes les créances toxiques. De même, la titrisation, en transformant la créance sur l’emprunteur en un élément d’un produit financier qui peut passer entre de nombreuses mains à travers le monde dans des transactions le plus souvent de gré à gré, rompt tout lien personnel entre l’emprunteur et le prêteur d’origine et disperse le risque au lieu de le réduire, rendant ainsi sa mesure plus difficile sinon impossible. Les conflits d’intérêts qui se sont manifestés dans les agences de notation à l’occasion de cette crise , comme dans l’affaire Enron chez les auditeurs en 2002, montrent que la stratégie classique qui repose sur la proposition de nouveaux services à l’actuel client, en l’occurrence le conseil pour l’élaboration de « conduits » de produits titrisés qu’elles notent par ailleurs pour créer des synergies, conduit pour elles à un privilège dans l’immédiateté de l’information, même si cela ne les a pas empêché de commettre des erreurs. Ceci rend également délicat de ne pas bien noter des fonds qu’elles ont conseillés.

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Mais le plus grave est que la complexité croissante des produits structurés les rende incompréhensibles à beaucoup d’investisseurs même professionnels. Par ailleurs, la bonne information est rarement gratuite sous prétexte que la recherche coûte cher. Le résultat en est que les plus fortunés ont souvent accru considérablement l’écart entre leur fortune et l’épargne des autres. Quant à la complétude de l’information, elle est mise en cause de plus en plus fréquemment. L’entreprise prend certes plus de risques qu’avant à cacher de l’information aux marchés financiers. Mais à la tentation de retarder la diffusion des informations désagréables s’ajoute la multiplication des transactions de gré à gré, souvent nouées dans des paradis fiscaux, dont l’effet, quand ce n’en est pas l’un des objectifs, est précisément de camoufler l’information.

Cependant la plus dangereuse atteinte au fonctionnement de marchés efficaces est la recherche récurrente de la « pierre philosophale » d’une forte rentabilité sans risque. Le plus simple est de fausser les comptes comme Enron et son complice Andersen. Hors ce cas, les méthodes sont variées et généralement venues de USA. John Milken, à la fin des années 80 avait trouvé le moyen de vendre des obligations « pourries » soit disant sans risque, qui pouvaient rapporter jusqu’à 16%. Il a provoqué la faillite de nombreuses Caisses d’épargne américaines avant d’aller en prison ! A la fin du XXème siècle deux prix Nobel d’économie ont cru avoir trouvé pour LTCM la martingale permettant de faire d’énormes profits sans risque sur les marchés de change et de taux avec une chance d’un sur un million de se tromper! C’est malheureusement celle-ci qui est sortie ! Les Hedge Funds ont prétendu réduire le risque et accroître la rentabilité en décorrélant leurs actifs des marchés boursiers tout en recourant massivement à l’endettement. Ils ont obtenu des résultats mais beaucoup le paient cher aujourd’hui.

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En 2000, les sociétés technologiques qu’on introduisait en bourse avec un multiple de 100 fois leur chiffre d’affaires et des pertes supérieures à ce dernier, ce qui était totalement déraisonnable, étaient considérées comme sans risque par des gens aussi compétents que des grands patrons français qui croyaient ces secteurs assurés d’une croissance de 20 à 30% par an pendant des décennies, jusqu’à ce que ces marchés s’effondrent!

Mais le summum de ce rêve « faustien » d’une forte rentabilité sans risque est la crise des « Subprimes », parce qu’elle a atteint presque tous les marchés et presque tous les pays du monde et concerne un produit recherché et apprécié partout, le logement. Compte tenu d’un pourcentage de déchets faible d’environ 2% qui n’empêchait pas de faire payer aux acheteurs des taux d’intérêt variables qui pouvaient aller jusqu’à 15-20%, des experts de la finance ont généralisé la titrisation de produits diversifiés vendus par des structures « ad hoc » à des investisseurs. Comme ceux-ci finançaient essentiellement leur investissement avec de la dette, la rentabilité sur les capitaux propres augmentait jusqu’à des taux énormes de 40% et le risque correspondant, déjà réduit par la diversification, était théoriquement assuré par des « rehausseurs de crédit ». Ce système aurait pu durer si les prix de l’immobilier avaient continué à monter, si les estimations du risque avaient toujours été faites sérieusement et si l’on avait conservé les taux bas de l’argent du début du XXI ème siècle. Mais les menaces inflationnistes provoquées en partie par « l’exubérance » des marchés immobiliers ont fait monter le coût de l’argent. Les défaillances des débiteurs ont rapidement augmenté. Les assurances souvent mal calibrées et non provisionnées ont mal fonctionné. Les « conduits »qui finançaient des créances par du « Commercial Paper » à court terme n’ont pas pu se refinancer auprès d’autres banques, qui se trouvaient dans une situation comparable. Une crise de liquidité, ce qu’il y a plus grave dans sur les marchés financiers, a alors explosé. L’interruption des transactions a empêché l’évaluation des créances surtout négociées sur des marchés de gré à gré et a rapidement transformé l’enthousiasme pour ces produits titrisés en panique. Une fois encore, la croyance en une forte rentabilité sans risque s’avérait illusoire et ses effets catastrophiques.

Pour réduire la menace d’autres crises du même type, il faut donc s’efforcer de mieux appliquer les principes de base du capitalisme financier .L’interdiction de transactions trop risquées à partir de paradis fiscaux présenterait le triple avantage de rendre l’information plus rapide, moins chère et plus complète. Tous les fonds d’investissement y compris les « Hedge Funds » devraient fournir une information aussi complète que les autres fonds ouverts au public. Sans cela, comment garantir une information immédiate, gratuite et complète ? L’obligation d’enregistrer les opérations de gré à gré impliquant des tiers auprès d’organismes officiels présenterait des avantages similaires.
La crise comptable de 2002 a obligé les sociétés d’audit à se séparer de leurs activités de conseil de même nature. Il conviendrait d’exiger la même chose des agences de notation. Quand on apprend aux entreprises que l’on évalue ce qu’il faut faire pour avoir une bonne note, il y a nécessairement conflit d’intérêt. Et si cette séparation est impossible, il faudrait créer des agences publiques indépendantes des Etats, qui se répartiraient de façon aléatoire et tournante la notation des institutions financières.

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Pour éviter la diffusion de produits toxiques, il faudrait imposer le passage de tout nouveau produit financier complexe au crible d’une instance financière internationale composée d’agents bénéficiant des mêmes compétences que celles des « inventeurs». Cela ralentirait les opérations. Mais serait-ce un mal quand on constate les méfaits d’une excessive rapidité ? Les spéculateurs peuvent obtenir des bonus considérables. Mais ils ne paient pas de malus quand ils font perdre de l’argent, ce qui les incite à prendre plus de risques aux dépens d’autrui. C’est pourquoi on devrait bloquer l’essentiel de leurs gains dans un compte qui serait débité pour indemniser les victimes de leurs actions après identification d’un lien de causalité entre leur action et les dégâts. Le solde éventuel leur serait rendu lorsqu’ils quitteraient le métier. De même, il serait indispensable d’élaguer dans les multiples protections contre le risque dont beaucoup de dirigeants de grandes entreprises bénéficient. Elles sont déjà incluses dans des rémunérations élevées qui ont considérablement augmenté depuis les années 90, complétées fréquemment par bonus et des Stock Options le plus souvent distribués sur la base de critères contestables sans en déduire la part qui revient à l’économie et non aux dirigeants. S’y ajoutent à leur départ des parachutes dorés, des retraites “chapeau” en plus d’une retraite normale déjà très confortable, des indemnités diverses et souvent des avantages en nature qui font que beaucoup d’entre eux ont financièrement plus intérêt à quitter l’entreprise qu’à y rester, ce qui est pour le moins paradoxal et malsain. On parle de règles de bonne conduite, certains patrons ont renoncé et à des bonus, mais il semble qu’il s’agit plus d’éviter des réactions désagréables de l’opinion que de changer véritablement les choses.

Par contre, modifier les règles comptables pour cacher la dégradation de la situation financière, comme on le fait actuellement en catimini, n’est pas une bonne idée. Cela irait contre l’exigence d’une information totale et immédiate et les marchés, se rendant vite compte qu’on leur cache quelque chose, réagiraient négativement. Il faudrait ainsi faire passer toutes les mesures envisagées au crible de l’information immédiate, gratuite et complète et de l’impossibilité d’une rentabilité forte et durable sans risque.

Mais élargissons le débat. Cette crise a montré que les Etats à qui l’on reprochait beaucoup de défauts,ont réagi avec une rapidité, un pragmatisme et des moyens considérables que l’on attribuait au seul secteur privé. En sens inverse, un secteur indispensable qui disposait de moyens considérables, le système bancaire, a fait preuve d’une incapacité totale à réagir et à s’organiser, donnant l’impression angoissante qu’il préférait se suicider, entraînant dans son sillage toute la planète, plutôt que de faire preuve de la moindre solidarité entre ses membres.

On doit donc modifier la vision traditionnelle d’un secteur public incapable d’intervenir efficacement dans la finance et d’un secteur privé parfaitement capable de s’autoréguler. Si les Etats doivent périodiquement jouer les pompiers, il est normal qu’ils fixent des règles visant à limiter au maximum le nombre et la gravité des incendies. Il ne suffit pas non plus de dire que les Etats ayant nationalisé temporairement des entreprises, en particulier financières, se rembourseront en faisant une plus-value importante lors de la vente, après redressement, des titres qu’ils ont achetés bon marché. Il faut aller plus loin et introduire, au niveau international, le délit d’atteinte à la sécurité économique et financière de la planète, qui pourrait être constitué par la conception et la vente de produits toxiques, c’est-à-dire ne permettant pas une couverture totale à l’épargne individuelle et collective .A finance mondialisée, sanctions mondialisées. Ceci est d’autant plus nécessaire que les remèdes contre les errements financiers de cette nature étant, jusqu’à preuve du contraire, des injections massives de liquidités provoquant des bulles, des enrichissements abusifs et des crises ailleurs, on ne peut empêcher les excès financiers qui en résultent que par la crainte de sanctions sévères. Ce ne serait après tout qu’un élargissement de la notion de Tribunal International au domaine financier. Toutes ces mesures seraient naturellement difficiles à mettre en œuvre. Mais les institutions financières internationales créées il y a une soixantaine d’années, ne semblent pas disposer, même en collaboration avec les Banques Centrales, des moyens d’empêcher l’irresponsabilité financière.

La crise et le rêve faustien des financiers

Certes, le G 20 a été très utile et a défini un certain nombre d’actions à mener. Des pays comme les Etats-Unis et nombre d’autres ainsi que des ensembles comme l’Union européenne préparent de nombreuses mesures.
Mais certaines dispositions annoncées sont insuffisantes. Ainsi, on a beaucoup tempêté contre les paradis fiscaux en se souciant à juste titre de la fraude fiscale et en créant des « zones grises ». Mais on a oublié certains paradis comme le Delaware, Jersey et Macao qui relèvent curieusement des plus grandes puissances économiques et/ou financières que sont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine. On ne s’est semble-t-il pas soucié non plus de la concurrence fiscale exacerbée qui fait partie de leurs charmes. L’Union européenne a élaboré un projet relatif aux « Hedge Funds »qui prévoit l’enregistrement dans la zone des sociétés de gestion mais pas des fonds eux-mêmes, ce qui permettrait à ceux-ci de venir en Europe sans contrôle à partir de paradis fiscaux ! Et les Hedge Funds s’efforcent de substituer une autorégulation reposant sur un « code de bonnes pratiques », type de remède dont on a constaté l’inefficacité, pour échapper à des contrôles publics. Dans un autre domaine, le gouvernement américain s’efforce d’imposer une très utile « réglementation solide, robuste et appropriée »aux transactions sur les marchés de gré à gré qui représentent une masse d’environ 500000 milliards de $ ! Mais des résistances s’organisent déjà au Congrès pour limiter ses effets et si possible l’éviter. Par ailleurs, dans certains domaines-clés, on n’envisage que des efforts très modestes ou aucun comme, par exemple, pour éviter la « sur- couverture » des risques encourus par les dirigeants ou sur les Malus devant peser sur les Traders.

Ensuite, l’efficacité de ces mesures anti-crise sera fortement affaiblie par la difficulté de coordonner les actions menées dans les différentes zones géographiques.

Enfin,« the Last, but not the Least », on s’attaque à ces innombrables problèmes en fonction de l’urgence, de réactions immédiates et des scandales sans avoir compris que toutes les mesures prises ne seront efficaces et cohérentes que si l’on applique au traitement de tous les problèmes la nécessité d’une information immédiate, gratuite et complète ainsi que le respect d’une inévitable relation proportionnelle entre la rentabilité et le risque.
En l’absence de cette approche globale, l’énormité des liquidités créées risque de provoquer une nouvelle et grave crise dans peu d’ années avec en plus de graves dangers politiques nés de dérèglements du système financier et économiques trop violents et rapprochés.

Didier Pène
Professeur émérite HEC